Dans la genèse de ma passion actuelle pour une guérison globale faisant appel aux forces de l’esprit tout autant qu’à la mise en œuvre de moyens techniques destinés à réparer l’organisme physique, j’aimerais citer la révélation reçue au cœur de mon adolescence, par le biais d’un professeur de sciences naturelles (c’est ainsi qu’on nommait alors la matière scolaire que nos enfants connaissent aujourd’hui sous le nom de Sciences de la Vie et de la Terre), d’un grand chirurgien allemand, Hans Killian (1892-1982). Sa réputation en France ne tint en réalité qu’à des livres de souvenirs, lesquels ne sont plus guère trouvables aujourd’hui qu’en tant que livres rares et anciens sur le marché de la vente entre particulier. Le premier d’entre eux, « Sous le Regard de Dieu », connut dès sa sortie un succès retentissant en raison de l’humanité qui émanait des récits qui le constituaient.
Des chapitres de ce livre nous étaient lus à haute voix en classe chaque fin de trimestre, le professeur s’étant manifestement mis en tête de nous présenter comme un modèle la vision qu’y développait de l’art de soigner le narrateur de ces histoires exemplaires, vision qui pourrait presque être entièrement résumée dans cette citation:
« Au risque d’être taxé de romantisme, j’avoue avoir toujours considéré le malade comme un camarade engagé avec moi dans la lutte contre la souffrance et la mort, une conception dont découlent certains impératifs moraux, notamment une franchise absolue, une confiance réciproque totale, une fidélité de tous les instants au point de vue médical comme sur le plan humain. »
J’avais été frappée, en particulier, par l’histoire d’une petite fille qui avait perdu un bras lors d’un accident tragique, situation dans laquelle le chirurgien n’avait pu que faire l’amer constat de son impuissance à une époque où n’existaient ni la micro-chirurgie, ni l’imagerie médicale perfectionnée que nous connaissons de nos jours, ni moins encore les antibiotiques… On sait aujourd’hui conserver dans la glace un membre brutalement arraché et, au prix d’une intervention longue et minutieuse, reconstituer la continuité des nerfs, des muscles, des os… le tout avec une chance considérable de récupération tant de la sensibilité que de la motricité. Hans Killian a quitté ce monde alors que ses successeurs réalisaient déjà ce genre d’opérations extrêmement délicates. Il relatait aussi l’histoire d’une jeune femme atteinte d’un cancer du sein et qui avait déployé toute la puissance de son esprit pour retarder, jusqu’à la naissance de son bébé, la terrible issue fatale. Dans son livre, le praticien se servait de cet exemple pour mettre en évidence ces ressources que nous portons en nous-mêmes et qui font de notre propre esprit le premier médecin qui nous soit donné par la Nature.
La publication de cet ouvrage avait eu lieu en un temps où n’étaient pas encore surexposés devant l’opinion publique les questions relatives à l’éthique médicale et en particulier l’inévitable débat engendré par la technicité grandissante dont dispose la médecine moderne avec les progrès constants (et ô combien heureux !) du diagnostic et de la thérapeutique. Hans Killian avait pourtant bien compris que la guérison, pour être effective, ne pouvait en aucun cas être réduite au seul recouvrement des capacités physiques de l’individu. Encore fallait-il qu’elle restituât à la personne qui avait été malade une vision heureuse de la vie, une attitude résolument positive, corps, âme et esprit étant à tout jamais indissociables. Dans cette optique, le médecin joue un rôle tout autant moral et spirituel (au sens de maîtrise du moment présent, victoire sur les peurs et mise en harmonie de l’être humain avec l’ordre de l’Univers), que matériel ou pratique. Il percevait clairement que la quête d’un accomplissement purement technique de la science médicale, négligeant la vie de l’âme, faisait fausse route, même s’il estimait que la responsabilité n’en incombait pas au seul médecin. Aucune guérison profonde, au sens holistique du terme, n’est effectivement possible sans que le malade ne choisisse explicitement de devenir partenaire de son parcours de soin. Ainsi en fut-il de cette paysanne qui, pour échapper à l’indifférence, voire à l’hostilité de sa famille, avait trouvé un bien illusoire refuge dans le handicap et la dépendance, et avait dû la restauration de son être tout entier à l’effet d’entraînement induit par l’esprit de groupe de ses compagnes de chambre.
En visionnaire qu’il était, le grand chirurgien allemand estimait que la qualité d’un soignant qu’elle qu’il soit se mesure non seulement à ses connaissances techniques dans le domaine médical mais encore à son ouverture de cœur et d’esprit, à son intelligence émotionnelle et à son sens de l’écoute. Celui qui prétend avoir vocation à soigner ses frères humains devrait, selon lui, être tout à la fois un spécialiste des fonctionnements et dysfonctionnements des organes (ce que l’on a coutume d’appeler la maladie), et un fin connaisseur des ressorts de l’âme humaine. Hans Killian envisageait le parfait médecin, non comme un simple technicien de la mécanique physiologique (à la manière d’un garagiste), mais aussi et surtout comme un éducateur de santé, un psychothérapeute, voire un praticien holistique. Vous aimerez sans doute lire également cet article sur le rôle fondamental de l’empathie dans le processus de guérison.
Cette conception multi-dimensionnelle de la guérison et donc de la santé, dont l’essentiel relève du champ subtil de la vie psychique et spirituelle de la personne tout autant que dans le maintien ou la restauration de l’équilibre de sa biochimie, n’a fait que prendre racine, puis germer dans mon esprit durant les années suivantes, jusqu’à ce q’un jour, au cours d’un festival du Tibet à Paris, je fasse l’acquisition pour mon plus grand bonheur d’un numéro du magazine Regard Bouddhiste dont je retranscris ici un article qui entre tout particulièrement en résonance avec la perception que le témoignage d’Hans Killian avait alors semée en moi.
Quand bien même un patient aurait le meilleur médecin, aussi longtemps que le patient n’a pas foi en lui ou elle, le traitement ne peut pas être très efficace.
(Amma)
« Une médecine qui se limite à intervenir là où le mal s’est déclaré n’est pas basée sur les meilleurs principes, car le reste de l’organisme souffre peut-être aussi de quelques troubles ou insuffisances, et les soins donnés à une seule partie du corps ne le guériront pas. Pour remplir parfaitement son rôle la médecine doit toucher l’être tout entier, le purifier, le mettre en harmonie avec l’univers, afin que chaque organe, chaque point du corps bénéficie de cette amélioration.
L’apparition de troubles dans un point de l’organisme devrait être l’occasion de se pencher sur l’ensemble pour tout remettre en état. Si vous tenez compte de cette recommandation, ce ne sont pas seulement vos malaises actuels qui disparaîtront, mais aussi d’autres anomalies, dissimulées encore quelque part, qui attendent le moment de se manifester. Que le cardiologue s’occupe du cœur, le pneumologue des poumons, que le chirurgien enlève des tumeurs, et ainsi de suite, c’est très bien. Mais même quand ils ne sont plus vraiment malades, les humains ne sont pas non plus vraiment en bonne santé, car c’est morceau par morceau qu’on remet leur corps en état. La médecine du futur apprendra à travailler différemment : une petite anomalie sera l’occasion d’améliorer l’état de l’organisme entier. »Il est toujours bénéfique de se rappeler que les périodes de grande difficulté sont souvent les plus profitables, en termes de sagesse et de force intérieure.
(Dalaï Lama)
L’ESPRIT EST LE MEILLEUR MÉDECIN
L’abbé tibétain, le 8e Phakyab Rinpoché se réfugie à New York en 2003 après avoir subi des brutalités policières au Tibet. Hospitalisé d’urgence, il est pris en charge par le programme d’aide aux survivants de la torture. Au bout de 6 mois de traitement, la gangrène à sa cheville droite est telle que les spécialistes (Phakyab RINPOCHÉ en consultera plusieurs) sont unanimes : il faut amputer la jambe au-dessus du genou, à défaut de quoi il mourra de façon quasi certaine de septicémie généralisée. Ce moine tibétain, expert dans la maitrise des yogas de l’énergie interne du corps, décide alors d’entamer un programme d’auto-guérison qui durera trois années, à l’issue desquelles il retrouve l’usage complet de sa jambe guérie.
Phakyab RINPOCÉ, qui a confié à Sofia Stril-Rever, biographe du Dalaï-lama, le récit de son aventure »>, nous reçoit à Paris lors de son passage en France.
Regard Bouddhiste: Vous soulignez souvent l’importance de la compassion dans votre parcours
de guérison. Pourquoi ?
Phakyab RINPOCHÉ: Vous savez, je suis arrivé aux USA sans un sou en poche, sans parler un mot d’anglais, sans avoir d’endroit où vivre, et je ne pouvais pas marcher. C’était vraiment une situation difficile, j’étais déprimé, je ne dormais pas bien, je ne mangeais pas bien, je ne pouvais ni méditer ni pratiquer, j’étais collé au plus près de mon esprit étroit. Puis j’ai accepté ce qui m’arrivait, tout, profondément, c’était mon karma. Les choses se sont arrangées à partir de ce moment. J’ai rencontré l’hôpital, les docteurs, j’ai eu un lit pour dormir, des soins tout au long de la journée. J’ai pensé à l’Inde, au Tibet, où, dans ma situation, que vous soyez jeune ou vieux, vous mourez dans la rue. Des millions de personnes meurent dans le froid, dans la canicule, meurent de faim. C’était cette souffrance que je ressentais et j’avais la chance d’être soigné. J’ai touché une ouverture profonde, très large, en pensant à ces gens. Cela a bouleversé complètement la vision très négative que j’avais de ma situation. Ce qui m’a permis de remonter la pente en mangeant, dormant, pratiquant et méditant correctement. J’avais toujours une jambe gangrenée, une tuberculose osseuse, une pleurésie et des douleurs partout dans le corps mais mon esprit était libre, complètement Libre ! » Et je le répète, la clé de la guérison est d’ouvrir ces portes intérieures de la compassion.
R.B.: Les docteurs qui ont étudié votre dossier depuis le début sont catégoriques: vous
auriez dû mourir avec cette gangrène à un stade aussi avancé. Pourquoi n’ont-ils pas d’explications après toutes ces années ?
P.R.: Beaucoup de gens que j’ai côtoyés ont regardé ma guérison comme tenant du miracle, alors que ce n’est absolument pas le cas. Les docteurs américains qui m’ont suivi au début et que j’ai revu pendant ou après mes trois années de pratiques intensives n’avaient pas grand-chose à dire sur ma guérison. Certains ont même refusé de considérer mon cas. Ils n’acceptaient pas. La connaissance des docteurs occidentaux est remarquable à bien des points de vue. Pourtant, même s’ils peuvent dire qu’une amputation est nécessaire et qu’ils peuvent effectivement couper habilement une jambe en quelques minutes, ils ne savent pas vraiment lutter contre une gangrène, au-delà du recours massif aux antibiotiques. Ce que j’ai su faire par moi-même jusqu’à la disparition totale de la gangrène et la guérison complète de ma jambe ! Les médecins connaissent très bien le corps physique et sa chimie mais ils ne connaissent pas la relation entre l’esprit et le corps. Pour eux, l’esprit c’est le cerveau ! Alors qu’il existe un pouvoir de l’esprit, un pouvoir qui vient de l’intérieur, de l’ouverture du coeur, de l’amour et de la gentillesse. À ce sujet, les docteurs que j’ai rencontrés étaient très ignorants. Ils étaient incapables de voir le lien entre le corps et l’esprit.
R.B.: Que recommandez-vous à ceux qui souffrent de maladie difficile ?
P.R.: Prenez les traitements que l’on vous donne ! Les médecins savent ce qu’ils font. Vous ne devez stopper aucun traitement. La question est de savoir comment on peut prendre soin de soi-même avec la méditation. Il y a de nombreuses méditations possibles. Selon moi, la
méditation basée sur l’amour, la compassion et la gentillesse envers les autres est la plus importante. Tout le monde peut s’y entraîner. Elle rendra chacun plus apaisé, plus détendu et plus sensible aux aspects inconscients qui vous plongent dans l’illusion, amènent les émotions perturbatrices comme la colère, le désir et construisent la dépression, la peur. Ces facteurs mentaux négatifs affaiblissent votre esprit et affectent votre corps. Soigner ces aspects par la méditation sur l’amour est vraiment important. Beaucoup de gens pensent que traverser des situations difficiles est une des choses à éviter absolument. Selon moi, les épreuves difficiles que nous traversons sont nos meilleurs enseignants car elles nous apprennent à faire avec le côté « négatif » de notre esprit et à le transformer. À ce titre, mon séjour à l’hôpital a été mon meilleur moment de pratique. J’ai appris beaucoup de choses de cette période. Les situations difficiles sont nos meilleures chances de transformation, voire nos seules chances de transformation. Comment
voulez-vous transformer quoique ce soit de l’aspect négatif de l’esprit dans une situation sans obstacles ? Quelle que soit la difficulté, ne doutez pas, ne renoncez pas, fortifiez votre esprit.
R.B.: Pourriez-vous nous décrire comment la pratique des tsa loung est intervenue dans votre processus de guérison ?
P.R.: Il est délicat d’expliquer dans le détail ce que sont les tsa loung en tant que pratique tantrique. J’ai pratiqué un ensemble de méditations particulières, qui font appel à la méditation du calme mental, à des visualisations sur les canaux d’énergie, à la méditation de tonglen (prendre et recevoir.) Tonglen a cette vertu de libérer l’attachement étroit que l’on a à soi-même et qui nous maintient dans des états
dépressifs, au sommeil difficile, à l’alimentation déséquilibrée. En libérant cet attachement, vous ouvrez les portes intérieures qui mènent à cette compassion immense envers les autres et transforment votre égoïsme, votre vie.
Suzanne DELLAVOY
(Article Tiré du magazine Regard Bouddhiste)La méditation m’a sauvé
Phakyab RINPOCHÉ & Sofia STRIL-REVER – Éditions Le Cherche-Midi