« La douleur et la souffrance sont inévitables tant et aussi longtemps que vous êtes identifié à votre mental, c’est-à-dire inconscient spirituellement parlant. Je fais ici surtout référence à la souffrance émotionnelle, également la principale cause de la souffrance et des maladies corporelles. Le ressentiment, la haine, l’apitoiement sur soi, la culpabilité, la colère, la dépression, la jalousie, ou même la plus petite irritation sont sans exception des formes de souffrance. Et tout plaisir ou toute exaltation émotionnelle comportent en eux le germe de la souffrance, leur inséparable opposé, qui se manifestera à un moment donné. N’importe qui ayant déjà pris de la drogue pour « décoller » sait très bien que le « planage » se traduit forcément par un « atterrissage », que le plaisir se transforme d’une manière ou d’une autre en souffrance. Beaucoup de gens savent aussi d’expérience avec quelle facilité et rapidité une relation intime peut devenir une source de souffrance après avoir été une source de plaisir. Si on considère ces polarités négative et positive en fonction d’une perspective supérieure, on constate qu’elles sont les deux faces d’une seule et même pièce, qu’elles appartiennent toutes deux à la souffrance sous-jacente à l’état de conscience dit de l’ego, à l’identification au mental, et que cette souffrance est indissociable de cet état.
Il existe deux types de souffrance : celle que vous créez maintenant et la souffrance passée qui continue de vivre en vous, dans votre corps et dans votre mental. Maintenant, j’aimerais vous expliquer comment cesser d’en créer dans le présent et comment dissoudre celle issue du passé.
La plus grande partie de la souffrance humaine est inutile. On se l’inflige à soi-même aussi longtemps que, à son insu, on laisse le mental prendre le contrôle de sa vie.
La souffrance que vous créez dans le présent est toujours une forme de non-acceptation, de résistance inconsciente à ce qui est. Sur le plan de la pensée, la résistance est une forme de jugement. Sur le plan émotionnel, c’est une forme de négativité. L’intensité de la souffrance dépend du degré de résistance au moment présent, et celle-ci, en retour, dépend du degré d’identification au mental. Le mental cherche toujours à nier le moment présent et à s’en échapper. Autrement dit, plus on est identifié à son mental, plus on souffre. On peut également l’énoncer ainsi :
PLUS ON EST À MÊME DE RESPECTER ET D’ACCEPTER LE MOMENT PRÉSENT,
PLUS ON EST LIBÉRÉ DE LA DOULEUR, DE LA SOUFFRANCE ET DU MENTAL.
Tant que vous êtes incapables d’accéder au pouvoir de l’instant présent, chaque souffrance émotionnelle que vous éprouvez laisse derrière elle un résidu. Celui-ci fusionne avec la douleur du passé, qui était déjà là, et se loge dans votre mental et votre corps. Bien sûr, cette souffrance comprend celle que vous avez éprouvée enfant, causée par l’inconscience du monde dans lequel vous êtes né.
Cette souffrance accumulée est un champ d’énergie négative qui habite votre corps et votre mental. Si vous la considérez comme une entité invisible à part entière, vous n’êtes pas loin de la vérité. Il s’agit du corps de souffrance émotionnel. Il y a deux modes d’être : latent et actif. Un corps de souffrance peut être latent 90 % du temps. Chez une personne profondément malheureuse, cependant, il peut être actif tout le temps. Certaines personnes vivent presque entièrement dans leur corps de souffrance, tandis que d’autres ne le ressentent que dans certaines situations, par exemple dans les relations intimes ou les situations rappelant une perte ou un abandon survenus dans leur passé, au moment d’une blessure physique ou émotionnelle. N’importe quoi peut servir de déclencheur, surtout ce qui écho à un scénario douloureux de votre passé. Lorsque le corps de souffrance est prêt à sortir de son état latent, une simple pensée ou une remarque innocente d’un proche peuvent l’activer.
Le corps de souffrance ne désire pas que vous l’observiez directement parce qu’ainsi vous le voyez tel qu’il est. En fait, dès que vous ressentez son champ énergétique et que vous lui accordez votre attention, l’identification est rompue. Et une dimension supérieure de la conscience entre en jeu. Je l’appelle la présence. Vous êtes dorénavant le témoin du corps de souffrance. Cela signifie qu’il ne peut plus vous utiliser en se faisant passer pour vous et qu’il ne peut plus se régénérer à travers vous. Vous avez découvert votre propre force intérieure. Vous avez accédé au pouvoir de l’instant présent.
Plusieurs corps de souffrance sont exécrables mais relativement inoffensifs, comme c’est le cas chez un enfant qui ne cesse de se plaindre. D’autres sont des monstres vicieux et destructeurs, de véritables démons. Certains sont physiquement violents, alors que beaucoup d’autres le sont sur le plan émotionnel. Ils peuvent attaquer les membres de leur entourage ou leurs proches, tandis que d’autres préfèrent assaillir leur hôte, c’est-à-dire vous-même. Les pensées et les sentiments que vous entretenez à l’égard de votre vie deviennent alors profondément négatifs et autodestructeurs. C’est ainsi que les maladies et les accidents sont souvent générés. Certains corps de souffrance mènent leur hôte au suicide.
Si vous pensiez connaître une personne, ce sera tout un choc pour vous que d’être pour la première fois confrontée soudainement à cette créature étrange et méchante. Il est cependant plus important de surveiller le corps de souffrance chez vous que chez quelqu’un d’autre.
Remarquez donc tout signe de morosité, peu importe la forme qu’elle peut prendre. Ceci peut annoncer le réveil du corps de souffrance, celui-ci pouvant se manifester sous forme d’irritation, d’impatience, d’humeur sombre, d’un désir de blesser, de colère, de fureur, de dépression, d’un besoin de mélodrame dans vos relations, et ainsi de suite. Saisissez-le au vol dès qu’il sort de son état latent.
Le corps de souffrance veut survivre, tout comme n’importe quelle autre entité qui existe, et ne peut y arriver que s’il vous amène à vous identifier inconsciemment à lui. Il peut alors s’imposer, s’emparer de vous, « devenir vous » et vivre par vous. Il a besoin de vous pour se « nourrir ». En fait, il puisera à même toute expérience entrant en résonance avec sa propre énergie, dans tout ce qui crée davantage de douleur sous quelque forme que ce soit : la colère, un penchant destructeur, la haine, la peine, un climat de crise émotionnelle, la violence et même la maladie. Ainsi, lorsqu’il vous aura envahi, le corps de souffrance créera dans votre vie une situation qui reflétera sa propre fréquence énergétique, afin de s’en abreuver. La souffrance ne peut soutenir qu’elle-même. Elle ne peut se nourrir de la joie, qu’elle trouve vraiment indigeste.
Lorsque le corps de souffrance s’empare, vous en redemandez. Soit vous êtes la victime, soit le bourreau. Vous voulez infliger de la souffrance ou vous voulez en subir, ou bien les deux. Il n’y a pas grande différence. Vous n’en êtes pas conscient, bien entendu, et vous soutenez avec véhémence que vous ne voulez pas de cette souffrance. Mais si vous regardez attentivement, vous découvrez que votre façon de penser et votre comportement font en sorte d’entretenir la souffrance, la vôtre et celle des autres. Si vous en étiez vraiment conscient, le scénario disparaîtrait de lui-même, car c’est folie pure que de vouloir souffrir davantage et personne ne peut être conscient et fou en même temps.
En fait, le corps de souffrance, qui est l’ombre de l’ego, craint la lumière de votre conscience. Il a peur d’être dévoilé. Sa survie dépend de votre identification inconsciente à celui-ci et de votre peur inconsciente d’affronter la douleur qui vit en vous. Mais si vous ne vous mesurez pas à elle, si vous ne lui accordez pas la lumière de votre conscience, vous serez obligé de la revivre sans arrêt. Le corps de souffrance peut vous sembler un dangereux monstre que vous ne pouvez supporter de regarder, mais je vous assure que c’est un fantôme minable qui ne fait pas le poids face au pouvoir de votre présence.
Lorsque vous commencerez à vous désidentifier et à devenir l’observateur, le corps de souffrance continuera de fonctionner un certain temps et tentera de vous amener, par la ruse, à vous identifier de nouveau à lui. Même si la non-identification ne l’énergise plus, il gardera un certain élan, comme la roue de la bicyclette continue de tourner même si vous ne pédalez plus. A ce stade, il peut également créer des maux et des douleurs physiques dans diverses parties du corps, mais ceux-ci ne dureront pas.
Restez présent, restez conscient. Soyez en permanence le vigilant gardien de votre espace intérieur. Il vous faut être suffisamment présent pour pouvoir observer directement le corps de souffrance et sentir son énergie. Ainsi, il ne peut plus contrôler votre pensée.
Dès que votre pensée se met au diapason du champ énergétique de votre corps de souffrance, vous y êtes identifié et vous le nourrissez à nouveau de vos pensées.
Par exemple, si la colère en est la vibration énergétique prédominante et que vous avez des pensées de colère, que vous ruminez ce que quelqu’un vous a fait ou ce que vous allez lui faire, vous voilà devenu inconscient et le corps de souffrance est dorénavant « vous-même ». La colère cache toujours de la souffrance.
Lorsqu’une humeur sombre vous vient et que vous amorcez un scénario mental négatif en vous disant combien votre vie est affreuse, votre pensée s’est mise au diapason de ce corps et vous êtes alors inconscient et ouvert à ses attaques. Le mot « inconscient », tel que je l’entends ici, veut dire être identifié à un scénario mental ou émotionnel. Il implique une absence complète de l’observateur.
L’attention consciente soutenue rompt le lien entre le corps de souffrance et les processus de la pensée. C’est ce qui amène la métamorphose. Comme si la souffrance alimentait la flamme de votre conscience qui, ensuite, brille par conséquent d’une lueur plus vive. Voilà la signification ésotérique de l’art ancien de l’alchimie : la transformation du vil métal en or, de la souffrance en conscience. La division intérieure est résorbée et vous devenez entier. Il vous incombe alors de ne plus créer de souffrance.
Concentrez votre attention sur le sentiment qui vous habite. Sachez qu’il s’agit du corps de souffrance. Acceptez le fait qu’il soit là. N’y pensez pas. Ne transformez pas le sentiment en pensée. Ne le jugez pas. Ne l’analysez pas. Ne vous identifiez pas à lui. Restez présent et continuez d’être le témoin de ce qui se passe en vous. Devenez conscient non seulement de la souffrance émotionnelle, mais aussi de « celui qui observe », de l’observateur silencieux. Voici ce qu’est le pouvoir de l’instant présent, le pouvoir de votre propre présence consciente. Ensuite, voyez ce qui se passe.
Le processus que je viens de décrire est profondément puissant mais simple. On pourrait l’enseigner à un enfant, et espérons qu’un jour ce sera l’une des premières choses que les enfants apprendront à l’école. Lorsque vous aurez compris le principe fondamental de la présence, en tant qu’observateur, de ce qui se passe en vous – et que vous le « comprendrez » par l’expérience -, vous aurez à votre disposition le plus puissant des outils de transformation.
Ne nions pas le fait que vous rencontrerez peut-être une très grande résistance intérieure intense à vous désidentifier de votre souffrance. Ce sera particulièrement le cas si vous avez vécu étroitement identifié à votre corps de souffrance la plus grande partie de votre vie et que le sens de votre identité personnelle y est totalement ou partiellement investi. Cela signifie que vous avez fait de votre corps de souffrance un moi malheureux et que vous croyez être cette fiction créée par votre mental. Dans ce cas, la peur inconsciente de perdre votre identité entraînera une forte résistance à toute désidentification. Autrement dit, vous préféreriez souffrir, c’est-à-dire être dans le corps de souffrance, plutôt que de faire un saut dans l’inconnu et de risquer de perdre ce moi malheureux mais familier.
Examinez cette résistance. Regardez de près l’attachement à votre souffrance. Soyez très vigilant. Observez le plaisir curieux que vous tirez de votre tourment, la compulsion que vous avez d’en parler ou d’y penser. La résistance cessera si vous la rendez consciente. Vous pourrez alors accorder votre attention au corps de souffrance, rester présent en tant que témoin et ainsi amorcer la transmutation.
Vous seul pouvez le faire. Personne ne peut y arriver à votre place. Mais si vous avez la chance de trouver quelqu’un d’intensément conscient, si vous pouvez vous joindre à cette personne dans l’état de présence, cela pourra accélérer les choses. Ainsi, votre propre lumière s’intensifiera rapidement. Lorsqu’une bûche qui commence à peine à brûler est placée juste à côté d’une autre qui flambe ardemment et qu’au bout d’un certain temps elles sont séparées, la première chauffera avec beaucoup plus d’ardeur qu’au début. Après tout, il s’agit du même feu. Jouer le rôle du feu, c’est l’une des fonctions du maître spirituel. Certains thérapeutes peuvent également remplir cette fonction, pourvu qu’ils aient dépassé le plan mental et qu’ils soient à même de créer et de soutenir un immense état de présence pendant qu’ils s’occupent de vous.
La première chose à ne pas oublier est la suivante :
TANT ET AUSSI LONGTEMPS QUE VOUS VOUS CRÉEREZ UNE IDENTITÉ QUELCONQUE À PARTIR DE LA SOUFFRANCE, IL VOUS SERA IMPOSSIBLE DE VOUS EN LIBÉRER.
Tant et aussi longtemps que le sens de l’identité sera investi dans la souffrance émotionnelle, vous sabotez inconsciemment toute tentative faite dans le sens de guérir cette souffrance ou y résisterez d’une manière quelconque. Pourquoi ? Tout simplement parce que vous voulez rester intact et que la souffrance est fondamentalement devenue une partie de vous. Il s’agit là d’un processus inconscient, et la seule façon de le dépasser est de le rendre conscient.
Réaliser soudainement que vous êtes ou avez été attaché à votre souffrance peut-être la cause d’un grand choc. Mais dès l’instant où cette prise de conscience a lieu, l’attachement est rompu.
Un peu comme une entité, le corps de souffrance est un champ énergétique qui se loge temporairement à l’intérieur de vous. C’est de l’énergie vitale qui est prise au piège et ne circule plus.
Bien entendu, le corps de souffrance existe en raison de certaines choses qui se sont produites dans le passé. C’est le passé qui vit en vous, et si vous vous identifiez au corps de souffrance, vous vous identifiez par la même occasion au passé. L’identité de victime est fondée sur la croyance que le passé est plus puissant que le présent, ce qui est contraire à la vérité. Que les autres et ce qu’ils vous ont fait sont responsables de ce que vous êtes maintenant, de votre souffrance émotionnelle ou de votre incapacité à être vraiment vous-même.
La vérité, c’est que le seul pouvoir qui existe est celui propre à l’instant présent : c’est le pouvoir de votre propre présence à ce qui est. Une fois que vous savez cela, vous réalisez également que vous-même et personne d’autre êtes maintenant responsable de votre vie intérieure et que le passé ne peut pas l’emporter sur le pouvoir de l’instant présent.
L’inconscience le crée, la conscience le métamorphose. Saint Paul a exprimé ce principe universel de façon magnifique : « On peut tout dévoiler en l’exposant à la lumière, et tout ce qui est ainsi exposé devient lui-même lumière. » Tout comme vous ne pouvez vous battre contre l’obscurité, vous ne pouvez non plus vous battre contre le corps de souffrance. Essayer de le faire créerait un conflit intérieur et, par conséquent, davantage de souffrance. Il suffit de l’observer et cela suppose l’accepter comme une partie de ce qui est ce moment. »
Eckhart Tolle
Extrait de Mettre en pratique le pouvoir du moment présent
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